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A l’époque où les Barbares renversaient la vieille société romaine, pouvait-on les aimer ? Fallait-il désirer que la société descendît à leur niveau ? Non sans doute ; et pourtant celui qui aurait vu l’avenir aurait dû dire : là est le germe de la fleur nouvelle. Certes, si les Barbares fussent restés tels qu’ils étaient, leur invasion n’eût été qu’un immense malheur ; mais ils étaient jeunes, pleins de vie et d’avenir, tandis que la vieille société serait morte de vieillesse, lors même qu’ils n’en eussent point accéléré la fin. Ce que nous voulons donc, ce n’est ni assimiler le peuple à la bourgeoisie, et pour cela le rendre raisonneur, prévoyant, économe, ni assimiler la bourgeoisie au peuple, et pour cela détruire sa culture, sa politesse, ses qualités pratiques, c’est former une société nouvelle, qui ne soit ni le peuple, ni la bourgeoisie, et qui soit composée de l’un et de l’autre, comme les civilisations modernes sont composées d’éléments romains et barbares. Nous voulons en un mot augmenter la masse de l’humanité et par là sa quantité de mouvement, en y introduisant tout ce surplus négligé jusqu’ici, et qui a droit comme tout le reste de trouver dans son sein la vie et les jouissances de l’intelligence.

Je t’avais parlé de la position des femmes, qui est à mes yeux la preuve la plus frappante de l’iniquité de la société actuelle. Il faut que je me sois mal exprimé, puisque à mon hypothèse d’une femme sans ressources extérieures et n’ayant