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tique, au système près ? C’est ce qui arrivera au socialisme. Il est maintenant étroit, inapplicable, une pure utopie, vraie par un côté, fausse par l’autre, vraie dans ses principes, fausse dans ses formes. Le jour n’est pas loin où il deviendra une loi évidente et reconnue, dégagée d’exagérations et de chimères. Qui alors aura triomphé ? Seront-ce les partisans, qui soutenaient le faux comme le vrai, et voulaient réaliser l’impossible ? Seront-ce les adversaires, qui niaient le vrai à cause du faux, et voulaient entraver l’épuration de la forme nouvelle ? Ni les uns, ni les autres ; ce sera l’humanité qui aura fait un pas de plus, et conquis une forme plus avancée et plus juste. — Mettons de côté toute idée de justice et d’humanité ; prenons la question uniquement comme économistes et politiques. N’est-il pas évident que le seul, l’unique remède, au terrible mal que notre société renferme dans son sein, est de détruire cette classe qui fera une guerre éternelle à la richesse ; de la détruire, dis-je, non pas par des massacres, ce qui serait à la fois atroce et impossible, mais par l’éducation morale et un bien-être suffisant ? N’est-ce pas une chose affreuse que la majorité de l’humanité soit forcément déshéritée des jouissances intellectuelles et morales, forcément refoulée dans la crapule et le désordre ? Ces jouissances, dira-t-on, sont permises à tous. Non certes ; comment veut-on que le misérable qui a grandi dans cette hideuse atmosphère, sans éducation, sans morale, ignorant la religion, qui d’ailleurs serait