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Une vraie Terreur a succédé à cette déplorable guerre, le régime militaire a pu déployer a son aise tout l’arbitraire et toute l’illégalité qui le caractérisent ; quelque chose de dur, de féroce, d’inhumain s’introduit dans les mœurs et le langage. Les personnes d’ordre, ceux qu’on appelle les honnêtes gens, ne demandent que mitraille et fusillade ; l’échafaud est abattu, on y substitue le massacre ; la classe bourgeoise a prouvé qu’elle était capable de tous les excès de notre première Terreur, avec un degré de réflexion et d’égoïsme de plus. Et ils croient qu’ils sont vainqueurs pour jamais ; que sera-ce le jour des représailles ?… Et pourtant, telle est la terrible position où nous a mis la force des choses, qu’il faut se réjouir de cette victoire, car le triomphe de l’insurrection eût été plus redoutable encore. Non pas qu’il faille croire tous ces contes à faire peur, inventés par la haine et par de ridicules journaux. J’ai vu de près les insurgés ; nous avons été un jour et une nuit entre leurs mains, et je puis dire qu’on ne peut désirer plus d’égards, d’honnêteté, de droiture, et qu’ils surpassaient infiniment en modération ceux qui les combattaient, et qui, sous mes yeux, ont commis des atrocités inouïes sur les personnes les plus inoffensives. Non, le pillage, l’assassinat, l’incendie n’eussent pas été à l’ordre du jour ; il y eût eu des vengeances, des mesures violentes ; les brigands soudoyés qui, cette fois comme toujours, formaient une bonne partie de la troupe insurgée eussent été difficilement retenus ;