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faillite, dans quelque nouvelle tempête, dans quelque nouveau système ? car nous ne sommes pas au bout… Réfléchis à tout cela, mon Ernest si cher et si aimé : j’ai foi, tu le sais, foi souveraine en ta haute et calme raison ; je ne fais donc que t’exprimer mes craintes, en avouant que ma tendresse pour toi peut les exagérer, mais je ne puis manquer d’appeler ta pensée sur le sujet même de ces craintes. — Relativement à moi, mon bien cher ami, ne conçois aucune inquiétude, je t’en prie. Si la guerre éclatait sur les territoires qui nous séparent, je ferais en sorte de ne pas mettre d’infranchissable muraille entre moi et ceux que je chéris si vivement ; jusque-là je dois aussi tout laisser dans l’état actuel, lors même que cet état serait plus pénible encore. Tout disparaît devant les nuages menaçants qui viennent de se former au-dessus de toutes les têtes. Quel moment, grand Dieu ! J’ai bien de l’inquiétude pour notre frère : ses affaires qui prospéraient si heureusement vont être, je le crains, bien fatalement ébranlées. O Ernest, que de fois en ces derniers dix jours, en ces dix cruels jours, j’ai trouvé une pensée consolante à considérer que nous du moins avons en nous-mêmes nos principales ressources ! que sont aujourd’hui toutes les autres ?… Quoi qu’il arrive, mon frère bien-aimé, nous pourrons toujours nous procurer le nécessaire, nous vivrons enfin ;… peut-être pas à Paris, si le bouleversement était trop profond ; mais s’il le fallait absolument, si la force deve-