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moiselle Ulliac : je serai ainsi certaine qu’elles te parviendront.

Les détails de la terrible explosion qui vient une fois encore d’ébranler notre patrie ne me sont que très imparfaitement connus. Je ne puis plus avoir de journaux français, et tu comprendras facilement que ceux de l’Allemagne me laissent beaucoup à désirer dans un pareil moment. Quel coup de foudre, mon Ernest ! quel profond bouleversement en toutes choses ! Impossible, mon pauvre ami, de rien entrevoir dans ce sombre et redoutable avenir. Attendre est tout ce que nous pouvons en cette conjoncture, attendre dans notre très modeste sphère, en nous félicitant presque d’être si petits, de n’avoir par conséquent qu’une moindre chute à redouter… Au nom de la dignité de ton avenir, mon Ernest, je te supplie de ne point continuer en ce moment les démarches que tu avais commencées avant la crise ; bien plus : j’ai envie de te prier de ne rien accepter, lors même que l’occasion de le faire viendrait à se présenter. Quel fond y a-t-il à espérer sur un sol de lave brûlante ?… ne vaudrait-il pas mieux prolonger ta situation présente, quoiqu’elle soit si remplie de tristesse, plutôt que de se fier à une amélioration qui ne serait peut-être, hélas ! que de courte durée ?… Pourquoi, mon Ernest, craindrais-tu de disposer, pour un ou deux ans d’attente, du peu que nous possédons ?… Ce peu nous restera-t-il longtemps ? Ne le verrons-nous pas disparaître dans quelque