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de vaillants travailleurs, comme elle en fournit à toutes les autres branches du savoir humain ?

Ce que nous avons dit de l’état d’isolement où vécut l’Égypte depuis Ménès jusqu’au triomphe du christianisme signifie-t-il que, durant cet immense espace de temps, elle n’ait rien donné au reste du monde, ni rien reçu de lui ? Nullement. Dans sa longue carrière de nation, l’Égypte reçut peu, il est vrai, mais donna beaucoup. C’est le sort de tous les pays profondément pénétrés de l’idée de leur supériorité. La base de la civilisation égyptienne, comme celle de la civilisation chinoise, était l’opinion enracinée que le reste du monde était barbare, ou, en d’autres termes, qu’on était barbare quand on n’avait pas les manières et les idées regardées dans le pays comme celles d’un homme bien élevé. Ces sortes de civilisations exclusives ne supportent pas d’être touchées. Elles résistent longtemps ; elles croulent dès qu’on veut les réformer. L’Égypte en particulier se défendit avec une opiniâtreté sans égale. Les Grecs et les Romains, si forts à s’imposer, les premiers par la séduction de leur génie, les autres par la puissance de leur gouvernement, ne l’entamèrent pas. Sous les Ptolémées, sous les Romains, l’Égypte garda son style en architecture et en sculpture. Hors d’Alexandrie, il n’y eut guère de monuments grecs ou gréco-romains. L’écriture hiéroglyphique se conserva jusqu’au iiie siècle de notre ère ; du moins le dernier cartouche d’empereur que l’on connaisse est celui de Dèce.

Mais, si l’Égypte fit peu d’emprunts aux civilisations, étrangères, on ne peut nier que ces civilisations, à l’inverse, ne lui doivent des éléments considérables. La Phénicie, je l’ai établi par mes recherches, fut, dès la haute