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toires grecques, romaines, germaniques, modernes, nous laissent à peine concevoir la possibilité.

Et c’est ici que s’offre à nous un rapprochement qui, depuis que je suis en ce pays, m’obsède et m’apparaît chaque jour plus frappant : je veux parler des rapports entre la civilisation égyptienne et la civilisation chinoise. L’Égypte et la Chine sont vraiment deux sœurs en histoire, non en ce sens qu’il faille chercher entre elles aucune analogie de langue ni de race, mais en ce sens qu’elles ont suivi des lignes de développement parallèles. De part et d’autre, l’usage de l’écriture, d’abord idéographique, puis hiéroglyphique, se perd dans la nuit des temps et se rattache presque aux origines de la parole. Une conséquence de ce fait capital fut, des deux côtés, une historiographie très-riche, remontant, non par des fables, mais par des récits positifs, à une haute antiquité, — des annales en un mot infiniment mieux tenues que celles d’aucune autre race. De part et d’autre encore, nous trouvons une royauté de sages, sans aucun caractère féodal ou militaire, une société gouvernée par une sorte d’académie des sciences morales et politiques, une nuée de fonctionnaires, une administration très-développée, une notion fort limitée des droits de l’individu, une idée énormément exagérée des droits de l’État, un grand bon sens, une certaine douceur de mœurs, moins de sang répandu que dans toutes les vieilles histoires ; avec cela nulle science, nulle philosophie, nulle critique, nul progrès, — règne absolu de la médiocrité. Le principe de telles sociétés, en effet, n’était pas l’individu énergique, libre, violent, mais l’État personnifié dans le roi. Le roi n’est point ici, comme au moyen âge, le représentant d’une