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pas face directement au sphinx ; mais le couloir d’entrée s’incline à dessein vers le monstre colossal. Il est probable qu’une construction antérieure aura empêché de mettre le temple en rapport plus direct avec l’image du dieu auquel il était dédié. Toute cette première naissance de la chaîne libyque était couverte de temples. Une inscription trouvée là même par M. Mariette, et maintenant au musée de Boulaq[1], mentionne les constructions qu’y fit Chéops, les temples qu’il restaura, les réparations qu’il fit au grand sphinx. Ce grand Hou ou sphinx apparaît ainsi comme la plus ancienne idole du monde[2]. Chéops, 4 500 ans avant Jésus-Christ, le répare. Cet être étrange a cent soixante-dix-sept pieds de long ; il était autrefois complété par de la maçonnerie ; la stèle du musée de Boulaq dont je parlais tout à l’heure présente son image telle qu’elle était du temps de Chéops.

Vraiment je m’étonne moi-même quand je me surprends à parler avec assurance d’une antiquité aussi reculée. Pendant la moitié au moins de mon voyage, je me sentais retenu par toute sorte de considérations sceptiques. Le principe de Heyne : « Toute histoire d’ancien peuple commence par des mythes, » me revenait sans cesse à l’esprit. Chaque fois que M. Mariette me parlait

  1. Cette inscription est toutefois si bizarre qu’on peut garder quelques doutes.
  2. Ce nom de Hou fait naître bien des conjectures. Je n’ose m’arrêter à l’hypothèse qui y rattacherait le nom propre du dieu des Israélites, Ihoua, nom si bizarre chez un peuple où le trait essentiel de la Divinité est de n’avoir pas de nom propre. Il est remarquable que l’ancienne Diospolis s’appelle encore aujourd’hui Hou. On sait que les noms arabes des villes ou villages de l’Égypte sont presque toujours les anciens noms égyptiens ; mais je me garde d’insister.