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et des Ramsès ne se fût pas abaissé à des représentations d’une telle bonhomie, pas plus que les artistes de Versailles ne se fussent pliés à peindre des « magots ». Ces deux étonnants morceaux sont en effet de la quatrième ou de la cinquième dynastie.

Est-ce là un art primitif, direz-vous, et est-il croyable qu’on ait débuté par de telles minuties dans la carrière des représentations figurées ? Considérez d’abord, je vous prie, que l’art égyptien, au temps dont nous parlons, n’en est pas à ses débuts ; il est à sa perfection. Ce qu’il y a de plus extraordinaire dans cette civilisation mystérieuse, c’est qu’elle n’a pas d’enfance. On cherche en vain pour l’art égyptien une période archaïque. Cela s’explique sans peine pour l’architecture, laquelle arrive d’ordinaire bien plus vite que les arts plastiques à trouver des moyens suffisants pour rendre son idée ; mais, pour que la sculpture réussisse à se débarrasser de toute raideur et de toute gaucherie, il faut des siècles : la Grèce, l’Italie du moyen âge en font foi. Or, une statue comme celle de Chéphren, dont je vous parlerai tout à l’heure, et en général toutes les statues sépulcrales de l’ancien empire ne sont nullement en style moyen âge. Elles sont en style définitif. Vu la mesure du génie de la nation, on ne pouvait faire mieux. L’Égypte, à cet égard comme à tant d’autres, contredit les lois auxquelles nous ont habitués les races indo-européennes et sémitiques. Elle ne débute pas par le mythe, l’héroïsme, la barbarie.

L’Égypte est une Chine, née mûre et presque décrépite, ayant toujours eu cet air à la fois enfantin et vieillot que révèlent ses monuments et son histoire. La divine jeu-