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514 MÉLANGES D’HISTOIRE

monde idéal, l’institution libérale, fruit de notre vieille et bienveillante société française, qui a offert un abri à nos timides essais, la patrie, enfin, qui, pour le plus déshérité, est un héritage de gloire, un legs d’honneur, sont autant de traditions que les naïfs enfantillages d’une vanité juvénile ne remplaceront jamais. Certes, c’est mal entendre le respect du passé que de se croire obligé, par égard pour les morts, de condamner les vivants à l’immobilité. Mais, de même que la piété filiale n’a jamais empêché personne de suivre librement la voie que sa conscience ou son devoir lui traçaient, de même, le respect de l’histoire n’a jamais entravé un pays dans la voie de ses légitimes développements. La civilisation est une œuvre de raison lente et de science profonde, à laquelle on ne travaille utilement qu’en prenant un solide point d’appui sur des assises antérieures. Deux conditions seront éternellement requises pour le progrès : avant tout, posséder derrière soi un passé que l’on respecte ; en second lieu, faire consister le respect à développer ce passé, à tirer de lui ce qu’il contenait de juste et de fécond.

C’est la confiance de travailler ainsi à quelque chose d’éternel qui vous soutient et justifie l’ancienne devise de notre compagnie : Vetat mori. Ce qui est bon est toujours bon, et si, pour cultiver la science et l’art, nous devions attendre le calme, nous attendrions longtemps peut-être. La science est comme le devoir ; elle ne chôme jamais. Dédaignant les malentendus et peut-être les railleries des esprits superficiels, vous allez déclarer par vos récompenses qu’ils n’ont pas perdu leur temps pour la patrie, ces laborieux investigateurs qui, répondant à votre appel, se sont plongés, durant les tristes jours que nous