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LA PRIMITIVE GRAMMAIRE DE L'INDE.

On veut le fruit, mais on ne comprend pas le travail nécessaire pour le faire naître et mûrir. On se croit obligé de tenir compte du public, et, au lieu de servir ses véritables intérêts sans le consulter lui-même, on adopte ses vues étroites. Il n’est pas jusqu’au Journal des Savants dont on ne veuille faire une Revue simplement instructive, sous prétexte de lui donner des abonnés. Qu’auraient dit le judicieux Daunou, l’illustre Silvestre de Sacy, l’austère Eugène Burnouf d’une telle prétention ? Que deviendra la grande culture de l’esprit, si l’on pratique ce système égoïste et à courte vue qui sacrifie le progrès séculaire de la science pour le pain de chaque jour ? L’histoire littéraire montre l’état de décrépitude où tombe toute culture intellectuelle qui, au lieu de renouveler continuellement ses matériaux, ne fait que remuer un fonds d’idées toujours le même et par conséquent vieilli. Pourquoi l’antiquité latine s’abîma-t-elle dans cette pauvreté intellectuelle qui nous est représentée par les maigres encyclopédies de Martien Capella et d’Isidore de Séville ? Pourquoi l’université de Paris, au XVIe siècle, arriva-t-elle à ce degré de pédantisme dont il serait difficile de trouver un autre exemple ? Parce que l’on s’enferma dans un cercle de notions banales et dont toute la vertu était épuisée, parce qu’on négligea de chercher et qu’on repoussa systématiquement les nouvelles études. Les travaux de première main les plus sévères, uniquement destinés à livrer à la science des résultats qui n’entrent en circulation que longtemps après, sont au fond les livres qui contribuent le plus au progrès de l’esprit humain. Ces travaux sont essentiellement aristocratiques, en ce sens qu’ils sont l’œuvre d’un très-