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414 MÉLANGES D’HISTOIRE.

tisme. Mais longtemps encore il faudra pardonner aux savants de n’être ni philosophes, ni hommes du monde, ni hommes d’État, même quand ils s’intitulent, comme en Allemagne, « conseillers de cour ».

Notre susceptibilité à cet égard est peut-être une des causes pour lesquelles la philologie, bien que représentée en France par tant de noms illustres, est toujours retenue chez nous par je ne sais quelle pudeur et n’ose s’avouer franchement elle-même. Nous sommes si timides contre le ridicule, que tout ce qui semble y prêter nous devient suspect ; or les meilleures choses, en changeant de nom et de nuance, peuvent être prises par le tour du ridicule. Le mot de pédantisme, qui, si on ne le définit nettement, risque d’être si mal appliqué, et qui aux esprits légers paraît à peu près synonyme de toute recherche savante, est ainsi devenu un épouvantail pour les délicats, qui ont souvent mieux aimé rester superficiels que de donner prise à cette attaque, à laquelle nous sommes immodérément sensibles. Le scrupule a été poussé si loin, qu’on a vu des critiques de l’esprit le plus distingué rendre à dessein leur expression incomplète, plutôt que d’employer le mot de l’école, alors qu’il était le mot propre. Le jargon scolastique, quand il ne cache aucune pensée, ou qu’il ne fait que servir de parade à des esprits étroits, est fade assurément ; mais vouloir bannir le style exact et technique, qui seul peut exprimer certaines nuances profondes de la pensée, c’est tomber dans un purisme déraisonnable. Kant et Hegel, ou même des esprits aussi dégagés de l’école que l’étaient Herder, Schiller et Gœthe, n’échapperaient point, dans de telles conditions, à notre terrible accusation de pédantisme.