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contre elle-même et avoir au besoin les qualités les plus opposées à ses défauts. Au milieu de l’énorme fermentation où la nation juive se trouva plongée sous les derniers Asmonéens, l’événement moral le plus extraordinaire dont l’histoire ait gardé le souvenir se passa en Galilée. Un homme incomparable, si grand que, bien qu’ici tout doive être jugé au point de vue de la science positive, je ne voudrais pas contredire ceux qui, frappés du caractère exceptionnel de son œuvre, l’appellent Dieu, opéra une réforme du judaïsme, réforme si profonde, si individuelle, que ce fut à vrai dire une création de toutes pièces. Parvenu au plus haut degré religieux que jamais homme avant lui eût atteint, arrivé à s’envisager avec Dieu dans les rapports d’un fils avec son père, voué à son œuvre avec un total oubli de tout le reste et une abnégation qui n’a jamais été si hautement pratiquée, victime enfin de son idée et divinisé par la mort, Jésus fonda la religion éternelle de l’humanité, la religion de l’esprit, dégagée de tout sacerdoce, de tout culte, de toute observance, accessible à toutes les races, supérieure à toutes les castes, absolue en un mot : « Femme, le temps est venu où l’on n’adorera plus sur cette montagne ni à Jérusalem, mais où les vrais adorateurs adoreront en esprit et en vérité. » Le centre fécond où l’humanité devait pendant des siècles rapporter ses joies, ses espérances, ses consolations, ses motifs de bien faire, était constitué. La source de vertu la plus abondante que le contact sympathique d’une conscience sublime eût fait jaillir dans le cœur des autres hommes était ouverte. La haute pensée de Jésus, à peine comprise de ses disciples, souffrit bien des déchéances. Néanmoins le christianisme l’emporta tout d’abord, et l’emporta de l’infini sur les