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404 MÉLANGES D'HISTOIRE.

esprits distingués de nos jours, lesquels pourtant voient des vérités inconnues à ces hommes de génie. Euclide et Archimède avaient plus d’invention que bien des géomètres modernes, auprès desquels ils ne seraient, sur certains chapitres, que des écoliers. Le travail intellectuel de la période romaine tire, d’ailleurs, un grand intérêt de l’état de l’humanité au milieu duquel il fut entrepris.

« C’est une remarque consolante, dit M. Græfenhan[1], que, au milieu de la décadence toujours croissante de la puissance politique, les progrès de l’esprit humain n’aient point été interrompus. Tandis que, avec le sentiment de l’impuissance civique, on laissait le frêle édifice de l’État pencher vers sa ruine, on voyait encore briller, comme sous un monceau de décombres et de cendres, l’étincelle de l’esprit, qui bientôt devait éclater en une flamme brillante, rendre au citoyen enchaîné sa liberté individuelle et l’éclairer d’une nouvelle lumière morale. Les écoles des néoplatoniciens, des aristotéliciens et des stoïciens, auxquels vinrent se joindre de nombreux éclectiques, conservèrent la tradition de l’ancienne philosophie, et entretinrent dans les esprits l’exercice de la pensée. Les malheurs politiques y furent aussi pour leur part. On soupirait après la délivrance, et, comme on n’avait pas la force de se la procurer soi-même, on ne la trouvait que dans un stoïcisme résigné. Il est très-digne de remarque que la tension intellectuelle qui se manifesta par suite de l’oppression politique, d’un côté, et, de l’autre, par l’étude silencieuse de la forte antiquité, ne se borna pas à un petit nombre de maîtres et d’écrivains,

  1. T. III. p. 4.