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MÉLANGES D’HISTOIRE.

cussions critiques auxquelles il se livre fréquemment, raisonne presque toujours a priori, et n’en appelle jamais à l’autorité des manuscrits. — L’imperfection de la lexicographie, l’état d’enfance de la linguistique, jetaient aussi beaucoup d’incertitude sur l’exégèse des textes archaïques. La langue homérique, par exemple, en était venue à former un idiome savant, qui exigeait une étude toute particulière, et il ne faut pas s’étonner que les modernes se permettent parfois de censurer les interprétations que les philologues anciens donnaient de ces textes difficiles. Car ceux-ci n’y étaient guère plus compétents que nous, et nous possédons incontestablement des moyens herméneutiques qu’ils n’avaient pas[1]. — Mais c’est surtout dans l’érudition que l’infériorité de l’antiquité était sensible. Le manque de traités élémentaires, de manuels renfermant les notions communes et nécessaires, de dictionnaires biographiques, historiques, géographiques, etc., réduisait chacun à ses propres recherches et multipliait les erreurs, même sous les plumes les plus exercées. La rareté des livres, l’absence de ces index et de ces concordances qui facilitent si fort nos recherches, obligeaient à citer souvent de mémoire, c’est-à-dire d’une manière très-inexacte. — Enfin, les anciens n’avaient pas l’expérience d’un assez grand nombre de révolutions littéraires, ils ne pouvaient comparer assez de littératures pour s’élever bien haut en critique esthétique. Rappelons-

  1. C’est ainsi que les arabisants européens croient sans témérité beaucoup mieux entendre certains passages du Coran que les Arabes. C’est ainsi encore que les hébraïsants modernes corrigent plusieurs explications de textes anciens données dans des livres hébreux d’une composition plus moderne, dans les Paralipomènes, par exemple.