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LA PHILOLOGIE DANS L’ANTIQUITÉ.

Partout où ils ont eu sous la main des matériaux suffisants, comme dans la question homérique, ils nous ont laissé peu à faire. J’excepte naturellement les questions de haute critique, pour lesquelles la comparaison est indispensable. Ainsi la grammaire des Grecs est surtout défectueuse, parce qu’ils ne savaient que leur langue[1] : les grammaires particulières, en effet, ne vivent que par la grammaire générale ; or la grammaire générale suppose la comparaison des idiomes. Pour la minutie des détails et la patience des rapprochements, les philologues anciens ont égalé les plus scrupuleux des philologues modernes. Leurs traités sur χρὴ et δεῖ et autres semblables valent les dissertations que tel érudit de la Renaissance composa sur le sens de la particule quanquam. — Pour la critique des textes, la position des anciens était aussi fort différente de la nôtre. Ils n’étaient pas comme nous en face d’un inventaire des manuscrits faisant autorité. Ils devaient donc songer moins que nous à les comparer et à les compter. Aulu-Gelle, par exemple, dans les dis-

  1. De là le ridicule de leurs étymologies. Comme ils ne connaissaient que leur langue, et de cette langue que la forme actuelle, ils s’imposaient d’expliquer par l’idiome vulgaire les mots étrangers ou archaïques. Cela donna occasion à une foule de mythes, qu’on pourrait appeler mythes étymologiques, où le fait fabuleux a procédé du mot, et non le mot du fait. Ainsi le mot Byrsa signifiait forteresse. Un Grec, en présence de ce mot, n’a pu chercher son étymologie que dans βύρσα. D’où la nécessité d’une légende où il entrât du cuir ; la fable de la peau de bœuf de Carthage n’a pas d’autre origine. Les étymologies d’Aphrodite, Latium, Pyrénées, etc., ont été formées par des procédés analogues. Toutes les littératures primitives, la littérature hébraïque, la littérature sanscrite, celles du Nord, en offrent d’innombrables exemples. (Voyez, par exemple, Ramayana, I, 50. etc. — Genèse, xvii, 5 ; xlix, etc.) Scot Érigène et tous les philologues du moyen âge suivent la même méthode : Θεός a θέω ; bonus a βόω ; ὕδωρ = εἶδος ὁράμενον, etc. Le peuple pratique encore le même procédé avec beaucoup de naïveté.