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lumineuse d’exprimer chaque articulation par un signe et de réduire les articulations à un petit nombre (vingt-deux), est une invention des Sémites. Sans eux, nous nous traînerions peut-être péniblement encore dans l’hiéroglyphisme. On peut dire en un sens que les Phéniciens, dont toute la littérature a si malheureusement disparu, ont posé ainsi la condition essentielle de tout exercice ferme et précis de la pensée.

Mais j’ai hâte d’arriver, messieurs, au service capital que la race sémitique a rendu au monde, à son œuvre propre, et, si l’on peut s’exprimer ainsi, à sa mission providentielle. Nous ne devons aux Sémites ni notre vie politique, ni notre art, ni notre poésie, ni notre philosophie, ni notre science. Que leur devons-nous ? Nous leur devons la religion. Le monde entier, si l’on excepte l’Inde, la Chine, le Japon et les peuples tout à fait sauvages, a adopté les religions sémitiques. Le monde civilisé ne compte que des juifs, des chrétiens ou des musulmans. La race indo-européenne en particulier, si l’on excepte la famille brahmanique et les faibles restes des Parses, a passé tout entière aux religions sémitiques. Quelle a été la cause de ce phénomène étrange ? Comment les peuples qui tiennent l’hégémonie du monde ont-ils abdiqué leur symbole pour adopter celui de leurs vaincus ?

Le culte primitif de la race indo-européenne, messieurs, était charmant et profond comme l’imagination de ces peuples eux-mêmes. C’était comme un écho de la nature, une sorte d’hymne naturaliste où l’idée d’une cause unique n’apparaît que par moments et avec beaucoup d’indécision. C’était une religion d’enfants, pleine de naïveté et de poésie, mais qui devait crouler dès que la réflexion