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302 MÉLANGES D'HISTOIRE.

ont ouvert l’antiquité n’ont rien vu au delà du texte qu’ils interprétaient, et autour duquel ils groupaient les mille paillettes de leur érudition. Ici, comme dans toutes les sciences, il a pu être utile que la curiosité naturelle de l’esprit humain ait suppléé à l’esprit philosophique et soutenu la patience des chercheurs. Est-il nécessaire que l’ouvrier qui extrait les blocs de la carrière ait l’idée du monument futur dans lequel ils entreront ? Parmi les laborieux travailleurs qui ont construit l’édifice de la science, plusieurs n’ont vu que la pierre qu’ils polissaient, ou tout au plus la région limitée où ils la plaçaient. Et pourtant il arrive que, par les travaux réunis de tant d’hommes, sans qu’aucun plan ait été combiné d’avance, une science se trouve organisée dans ses belles proportions. Elle se pose d’elle-même à la place qui lui convient, et, se fondant enfin dans l’organisation générale, elle devient une maxime dans la vérité universelle, un ton de plus dans l’harmonie des choses. Un génie invisible a été l’architecte qui présidait à l’ensemble, et faisait concourir ces efforts isolés à une parfaite unité.

Bien des gens sont tentés de rire en voyant des esprits sérieux dépenser une prodigieuse activité pour expliquer des particularités grammaticales, recueillir des gloses, comparer les variantes de quelque ancien auteur, qui n’est souvent remarquable que par sa bizarrerie ou sa médiocrité. Tout cela faute d’avoir compris dans un sens assez large l’histoire de l’esprit humain et l’étude du passé. C’est une loi de l’intelligence, après avoir parcouru un certain espace, de revenir sur ses pas pour revoir la route qu’elle a fournie, et repenser ce qu’elle a déjà pensé. Les premiers créateurs ne regardaient pas