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LA PHILOLOGIE DANS L’ANTIQUITÉ.

prochée de l’origine de ces mots, les appliquait avec moins d’embarras. Depuis que nous avons dressé une carte de la science, nous nous obstinons à donner une place à part à la philologie et à la philosophie ; et pourtant ce sont là moins des sciences spéciales que des faces diverses sous lesquelles on peut envisager les choses de l’esprit.

À une époque où l’on demande avant tout au savant de quoi il s’occupe et à quel résultat il arrive, la philologie a dû trouver peu de faveur. On comprend le physicien, le chimiste, l’astronome, beaucoup moins le philosophe, moins encore le philologue. La plupart, interprétant mal l’étymologie de son nom, s’imaginent qu’il ne travaille que sur les mots (quoi, dit-on, de plus frivole !), et ne songent guère à distinguer comme Zenon le philologue du logophile[1]. Ce vague qui plane sur l’objet de ses études, cette latitude presque indéfinie qui renferme sous le même mot des recherches si diverses, portent à ne voir en lui qu’un amateur qui se promène dans la variété de ses travaux, et explore le passé, à peu près comme certaines espèces d’animaux fouisseurs creusent des mines souterraines pour le plaisir d’en faire. Sa place dans l’organisation philosophique n’est pas encore suffisamment déterminée ; les monographies s’accumulent sans qu’on en voie le but ; la dispersion du travail atteint ses dernières limites.

La philologie, en effet, n’a point son but en elle-même : elle a sa valeur comme condition nécessaire de l’histoire de l’esprit humain et de l’étude du passé. Sans doute, plusieurs des philologues dont les savants travaux nous

  1. Ζήνων τῶν μαθητῶν ἔφασκε τοὺς μὲν φιλολόγους εἶναι τοὺς δὲ λογοφίλους. (Stobée, Ἀποφθέγματα, 8, II, p. 44, édid. Gaisford.)