Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/407

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’INSTRUCTION PUBLIQDE EN CHINE. 381

du chinois moderne ; les idiomes malais, dans cette langue ancienne à laquelle Marsden et Crawfurd ont donné le nom de grand polynésien, qui fut autrefois la langue de la civilisation de Java, et que Balbi appelle « le sanscrit de l'Océanie[1] ». Les faits que nous venons de citer suffisent pour établir en loi générale que chacune des langues modernes a son antécédent antique, ou plutôt n’est que la transformation d’une langue ancienne, qui a servi d’instrument à la pensée dans un autre âge[2].

Mais que devient la langue ancienne ainsi expulsée de l’usage vulgaire par le nouvel idiome ? Son rôle, pour être changé, n’en est pas moins remarquable. Si elle cesse d’être l’intermédiaire du commerce habituel de la vie, elle devient la langue savante et presque toujours la langue sacrée du peuple qui l’a décomposée. Fixée d’ordinaire dans une littérature antique, dépositaire des traditions religieuses et nationales, elle reste le partage des savants, la langue des choses de l’esprit, et il faut d’ordinaire des siècles avant que l’idiome moderne ose à son tour sortir de la vie vulgaire, pour se risquer dans l’ordre des choses intellectuelles. Elle devient en un mot classique, sacrée, liturgique, termes corrélatifs suivant les divers pays où le fait se vérifie, et désignant des emplois qui ne vont pas d’ordinaire l’un sans l’autre. Chez les nations orientales, par exemple, où le livre antique ne tarde jamais à devenir sacré, c’est toujours à la garde de cette langue savante, obscure, à peine connue, que sont

  1. Atlas ethnographique, tabl. xxiii.
  2. L’écriture présente une marche analogue, l'hiéroglyphisme ayant précédé l'alphabétisme. Tant il est vrai que la complexité se retrouve bien plutôt que la simplicité au début de l’esprit humain.