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ration sans réserve, culte pour les auteurs ; rien ne leur a manqué de ce qui constitue la religion classique. Ce fait d’une langue ancienne choisie comme objet principal de l’éducation, et concentrant autour d’elle les efforts littéraires d’une nation qui s’est depuis longtemps formé un nouvel idiome, n’est pas du reste particulier à la Chine. C’est le fait général des langues classiques, lequel dérive, non pas, comme on voudrait le faire croire, d’un choix arbitraire, mais bien d’une des lois les plus générales de l’histoire des langues, loi qui ne tient en rien au caprice ni aux opinions littéraires de telle ou telle époque. C’est mal comprendre le rôle et la nature des langues classiques que de donner à cette dénomination un sens absolu et de la restreindre à un ou deux idiomes, comme si c’était par un privilège essentiel et résultant de leur constitution qu’ils fussent prédestinés à être l’instrument d’éducation de toutes les races. L’existence des langues classiques est un fait universel de linguistique, et le choix de ces langues, de même qu’il n’a rien d’absolu pour tous les peuples, n’a rien d’arbitraire pour chacun d’eux.

L'Histoire générale des langues a depuis longtemps amené les savants à constater ce fait, que, dans tous les pays où s’est produit quelque mouvement intellectuel, deux couches de langues se sont déjà superposées, non pas en se chassant brusquement l’une l’autre, mais la seconde sortant par d’insensibles transformations de la poussière de la première. Partout une langue ancienne a fait place à un idiome vulgaire, qui ne constitue pas à vrai dire une langue différente, mais plutôt un âge différent de la langue qui l’a précédée ; celle-ci plus savante,