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moulin, sont portés par les hommes valides, sur la réquisition de l’amin. Nul ne peut refuser le passage sur sa propriété. Les travaux des champs se font également avec le secours de la prestation mutuelle. Chacun au besoin requiert le village et souffre d’en être requis. Cette institution et le mot berbère qui la désigne ont passé chez les Arabes ; mais, entre les mains de tribus organisées d’une façon féodale, l’institution a changé de nature, elle n’est chez les Arabes qu’une corvée gratuite au profit des chefs et sans nul avantage pour la communauté.

La conséquence de cette organisation a été de favoriser très-peu le développement de la richesse, mais aussi d’empêcher la formation d’un résidu social voué par décret fatal à la misère. Le monde berbère n’a pas, à proprement parler, de classe pauvre, distinguée de la classe aisée par son extérieur, ses manières, son langage et ses habitudes. En assistant à une djémâa, il est très-difficile de dire qui sont les pauvres et qui sont les riches. La différence d’éducation et d’instruction n’existant pas, la noblesse féodale n’ayant laissé aucune trace, il y a dans une telle société des différences de fait, non des différences de droit. Le dernier mendiant vient s’asseoir familièrement à côté du premier personnage, sans que celui-ci s’en étonne. La misère est un accident auquel tout le monde est exposé ; l’indigent n’est en rien humilié par le secours qu’il reçoit. Aucune société ne s’est montrée à cet égard plus libérale que la société kabyle. La part du pauvre est faite par la loi extrêmement large, les fondations privées l’élargissent encore ; on sent que la société n’est chez de telles populations qu’une extension de la famille. Il n’y a pas d’enfants naturels ; l’enfant né