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tribu. L’étranger, dès qu’il entre dans le village, a sa part dans le bien commun. Les Kabyles poussent jusqu’à l’héroïsme l’application de ce beau principe. Pendant l’hiver de 1866-1868, lorsque la famine décimait les populations indigènes de l’Algérie, les Kabyles de la subdivision de Dellys eurent à nourrir des mendiants étrangers accourus de tous les points de l’Algérie et même du Maroc. Les villages venaient au secours des réfugiés sans s’inquiéter de leur origine, avec une charité pleine de délicatesse. Pas un seul de ces malheureux n’est mort de faim sur le sol kabyle ; ces actes de charité étaient accomplis simplement, sans bruit, sans ostentation et comme un devoir tout naturel.

Voilà qui est admirable et montre tout ce qu’il y a d’excellentes qualités de cœur dans la race berbère. Les pages héroïques et touchantes de l’histoire du christianisme africain s’expliquent par cet esprit d’humanité, de douceur. D’autres dispositions du code kabyle, instituant ce qu’on peut appeler le droit de corvée réciproque, et sanctionnées, comme les lois de secours mutuels, par l’amende ou l’exil, viennent du même fonds, combiné avec les habitudes d’une vie étroite et besoigneuse. Un Kabyle qui bâtit une maison a droit à l’assistance du village entier. Le village doit lui fournir des manœuvres pour servir les maçons. Dans certaines localités, il y a un tour de corvée établi et réglé par l’amin. Ailleurs les travailleurs sont des hommes de bonne volonté ; mais chacun sait qu’en cas de refus il serait désigné d’office et puni d’amende. Les femmes apportent l’eau nécessaire à la construction. Les tuiles sont fabriquées et déposées à pied d’œuvre par les gens du village. Les bois de charpente, les meules de