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base de respect suffisante pour durer. À défaut de la noblesse militaire des peuples aryens, et du chef à la façon arabe, désigne à la fois par la naissance et par la valeur personnelle, le village kabyle a ses notables, aristocratie sans titre défini, résultant de l’estime, des services rendus, supposant pour condition une certaine aisance qui permet à l’individu de vivre sans travailler journellement de ses mains. Il y a même des familles ayant donné des chefs temporaires au pays, et vers lesquelles les yeux se tournent d’eux-mêmes aux moments de crise. Seulement le nombre de ces notables n’est pas limité ; aucune condition n’est imposée pour en faire partie ; l’opinion seule est juge à cet égard. — En réalité, tout se juge par la djémâa restreinte des notables. L’approbation de l’assemblée générale n’est plus qu’une formalité. Des rôles analogues à ce que nous appelons « l’opposition » seraient accueillis par des huées ; l’exclusion de la jeunesse des affaires est le trait de ces sortes de constitutions patriarcales. La révolution y est impossible ; malheureusement les plus grandes folies (les dernières révoltes de la Kabylie l’ont prouvé) ne sont pas du même coup frappées d’impossibilité.

L’étendue des pouvoirs de la djémâa est sans limite. Elle cumule le pouvoir politique, le pouvoir administratif, le pouvoir judiciaire ; elle prononce la peine de mort, punit d’amende les moindres infractions aux règlements municipaux ; elle statue dans les affaires civiles, ou délègue ses pouvoirs à des juges arbitres, et se réserve l’exécution. Dans les attributions de la djémâa et de l’amin, nulle distinction de ce que nous considérons comme du domaine de la loi et du domaine de la morale privée.