Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/358

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

part, n’en sont pas moins exactement observées. D’abord on ne choisit que des gens relativement riches. L’amin, en effet, ne reçoit aucun traitement et est obligé à d’assez fortes dépenses. Ces fonctions soulèvent beaucoup de haines contre celui qui les remplit. Pour ménager leur popularité, les chefs de parti les déclinent et se contentent de faire nommer des candidats à leur dévotion, qu’ils soutiennent et dirigent. Un amin est obligé de consulter ces personnages influents, que l’opinion publique place au-dessus de lui. La djémâa d’un village kabyle est ainsi le théâtre d’intrigues tout aussi compliquées que le parlement le plus jaloux. Lorsqu’un amin a perdu la confiance de son village, on lui donne à entendre avec toute sorte d’égards qu’il a besoin de repos et que ses intérêts réclament son temps. S’il reste sourd à ces insinuations, un marabout lui exprime d’une manière plus claire le vœu de la population.

La djémâa se réunit une fois par semaine, ordinairement le lendemain du jour où se tient le marché de la tribu. Si, dans l’intervalle des séances régulières, il y a lieu de convoquer une réunion extraordinaire, l’amin en fait donner avis la veille par le crieur public. Tous les citoyens sont tenus d’assister aux réunions de la djémâa : celui qui s’abstient sans motif valable ou sans une permission de l’amin est mis à l’amende. L’amin préside la réunion, expose le motif de la séance et invite les citoyens à émettre leur avis. Le Kabyle est naturellement orateur, et ces tribunes de village voient souvent déployer une éloquence digne des agora les plus célèbres de l’antiquité. L’usage limite fort la liberté laissée à tous de parler. Pour prendre la parole, il faut être influent,