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méthode et trop charmé du plaisir de penser pour penser avec sobriété. On peut lui reprocher d’avoir donné dans un livre de renseignements précis une trop grande place aux généralités. Ce qu’on est en droit de demander au voyageur, en effet, ce n’est pas de faire preuve d’érudition et de philosophie ; c’est uniquement de bien voir et de bien rendre ce qu’il a vu, c’est d’être le témoin véridique et judicieux des pays lointains devant le tribunal de la critique européenne. La forme du récit ou du journal est pour cela la meilleure. M. d’Escayrac raconte trop peu et raisonne trop. Cela le conduit à des vues parfois hasardées, qui tiennent uniquement à certaines habitudes de style et ne portent aucun préjudice à la justesse et à l’impartialité habituelles de son esprit.

La philosophie de l’histoire de M. d’Escayrac pourrait donner lieu à des observations analogues. Elle est trop absolue, et, s’il fallait la comparer à quelque chose, ce serait au curieux essai d’histoire a priori que le plus ingénieux des chroniqueurs arabes, Ibn-Khaldoun, nous a donné dans ses Prolégomènes. Dominé par l’idée d’un plan uniforme de l’espèce humaine, supposant que tous les peuples sont partis d’un même état, suivent la même ligne et tendent au même but, M. d’Escayrac ne tient pas assez de compte de la diversité des races. Or il semble que, plus on étudie l’histoire dans ses véritables sources, plus on arrive à écarter toute formule générale et à se renfermer dans de pures considérations ethnographiques. M. d’Escayrac, par exemple, trompé par l’équivoque du mot barbarie, rapproche souvent les Germains des premiers siècles de notre ère des diverses populations du Soudan, et semble supposer qu’il ne faudrait à