voyage, étaient pour beaucoup dans ce charme, auquel l’instinct du commerce pouvait bien aussi n’être pas étranger. La Mecque, en effet, au temps du pèlerinage, était un vaste marché et le centre des échanges du monde entier. Le fatalisme enfin, en débarrassant l’homme du calcul pénible des chances de l’avenir, contribuait à entretenir le goût de cette vie errante. Le voyageur est toujours un peu fataliste, et rien ne contribue plus à jeter l’homme dans les aventures que de croire qu’il obéit à un destin immuable en obéissant à sa mobilité.
L’organisation de la société musulmane prêtait merveilleusement à ce perpétuel vagabondage. Le voyageur n’est pas, chez les Arabes, un homme à part, sans fonctions, sans famille, un étranger tenu à distance et condamné à ne voir que du dehors la vie des pays qu’il traverse. Le voyageur arabe, presque toujours jurisconsulte ou médecin, exerce sa profession en voyageant. À chaque station de sa route, il s’établit, prend racine dans le pays, devient un personnage considérable ; puis, quand sa passion se réveille, il reprend l’état nomade, sûr d’être partout recherché et pourvu de fonctions lucratives. Chez nous, la vie du voyageur est coûteuse et suppose un capital longuement amassé. Chez les Arabes, cette vie était la plus économique de toutes : le voyageur s’acquittait envers son hôte par des consultations médicales ou juridiques, des récits, des pièces en prose et en vers ; quelques-uns même se défrayaient en professant la sorcellerie et en faisant des tours d’adresse. Rien n’égale l’étonnant spectacle que présente sous ce rapport la vie d’Ibn-Batoutah. Durant trente années, sans crédit ni fortune, il court le monde