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péninsule, et il n’y avait contrée d"Espagne que ce tyran n’eût pillée. Quand donc Ahmed craignit la chute de sa dynastie, il appela le Campeador (que Dieu fasse goûter à son âme le feu de l’enfer !), lui donna de l’argent et le fit entrer sur le territoire de Valence. Il se cramponna à cette ville comme le créancier se cramponne au débiteur. Combien de superbes endroits dont le tyran s’empara et dont il profana le mystère ! Combien de charmantes jeunes filles (quand elles se lavaient le visage avec du lait, le sang jaillissait de leurs joues ; le corail rivalisait avec les perles dans leur bouche,) épousèrent les pointes de ses lances, et furent écrasées, comme des feuilles mortes, sous les pieds de ses insolents mercenaires ! »

M. Dozy nous fait marcher de surprise en surprise. Ce ne sont pas seulement les musulmans qui se plaisent à médire du Campeador ; c’est la Chronica general elle-même, rédigée par Alphonse le Savant, qui le présente sous un jour singulièrement défavorable, à tel point que le récit du roi historien avait jusqu’à nos jours provoqué l’incrédulité. Or il se trouve que le récit d’Alphonse est parfaitement d’accord avec la tradition musulmane. Bien plus, M. Dozy démontre de la manière la plus incontestable que les chapitres de la Chronica general relalifs au Cid sont en grande partie traduits de l’arabe, et que probablement ils ont été écrits par un de ces Valenciens que Rodrigue fit brûler vifs lors de la prise de cette ville en juin 1095[1]. On sait la prédilection d’Alphonse pour

  1. L’opinion de M. Dozy a reçu depuis une confirmation frappante par la découverte qu’a faite M. Pidal d’un manuscrit de la Chronica general, où se trouve insérée en arabe, mais en caractères espagnols, le texte de l’élégie de Valence assiégée par le Cid. Voir l’introduction de M. Pidal au Cancionero de Baena (Madrid, 1851).