ventions gracieuses et des pensées délicates ; quand il est excellent, il l’emporte sur Bohtori et sur tous ceux qui l’ont précédé parmi les modernes. Mais la poésie de Bohtori est d’un ton plus soutenu et plus égal ; ce poëte composait une kaçida tout entière sans laisser la moindre prise aux sévérités de la critique, tandis qu’Abou-Temmam, après avoir trouvé un vers d’une beauté rare, le fait suivre d’un vers assez faible. Je ne saurais mieux le comparer qu’au plongeur qui retire du fond de la mer perles et fucus, et les étale sur la même ligne. Si Abou-Temmam n’était suspect, comme beaucoup d’autres poëtes, d’aimer ses productions d’une façon peu éclairée, et qu’il fût permis d’effacer de ses œuvres tout ce qui choque le goût, il resterait le plus grand parmi ses émules. » Abou-Temmam avait des admirateurs fanatiques et des détracteurs enragés. Maçoudi, modéré en tout, veut qu’on observe à son égard un sage éclectisme, et surtout qu’on se défie des jugements passionnés des orthodoxes. Il rappelle à ce sujet un beau mot attribué à Ali : « La science est la brebis égarée du croyant ; reprends ta brebis égarée, même chez les infidèles. » — « La passion, ajoute-t-il, est une divinité qu’on adore ; l’homme passionné est, à sa manière, l’adorateur d’un faux dieu. »
La vivacité, l’esprit, le talent, la largeur de jugement qui résulte de la liberté des mœurs et de la liberté de croyance, coulent à pleins bords dans ces récits décousus, mais pleins de charme. L’histoire doit rendre avec égards les derniers honneurs à cette civilisation brillante, l’une de celles où, en certaines heures, l’on se surprend à désirer d’avoir vécu. Mais elle eut des vices incurables, qui devaient la faire mourir jeune. Un manque général