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d’amour (p. 223-228, 351-360), sujet toujours cher aux historiens de la littérature arabe, ont un grand charme romanesque. Après les journées des Arabes, les récits sur ceux d’entre eux qui moururent du mal d’amour étaient un des sujets les plus ordinaires dans les conversations des hommes instruits. Mostaïn, surtout, en raffolait, et la meilleure manière de lui plaire était de lui apporter quelque nouveau détail sur ces martyrs, dont les Actes furent recueillis avec presque autant de soin que ceux des témoins de l’islam. L’histoire de Medjnoun, en particulier, est un morceau exquis, empreint de toute la poésie du désert.

« J’étais allé chez les Benou-Amir uniquement pour y rencontrer Medjnoun. Je trouvai là son père, un vieillard, et ses frères, hommes dans la force de l’âge ; on voyait que le bien-être et l’aisance régnaient dans cette famille. Je leur parlai de Medjnoun ; ils pleurèrent, et son père me répondit : « En vérité, c’était, de mes enfants, celui que je préférais ; il tomba amoureux d’une femme de sa tribu, qui certes n’aurait pu prétendre à un tel parti ; cependant, lorsque la passion qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre s’ébruita, le père de cette femme refusa de la donner en mariage à mon fils et lui choisit un autre époux. Nous avons alors enchaîné Medjnoun ; il se mordait la langue et les lèvres avec une telle fureur, que nous craignîmes qu’il ne se les coupât ; nous lui rendîmes donc la liberté. Il s’est enfui dans ces plaines désertes ; chaque jour on lui porte son repas, que l’on place en évidence ; quand il le voit, il s’approche et mange ; lorsque ses vêtements sont usés, on lui en apporte d’autres, et on les place