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on n’a jamais mieux rendu tout cela que ne font les Prairies d’or. Certes elle aura toujours sa place en esthétique, cette société arabe du ixe siècle, dernier fruit d’une race spirituelle, riche d’images et de sensations, ayant abusé de tout sans avoir rien approfondi, et dont l’expression la plus élevée est un prince des croyants qui ne croit pas en lui-même, un vice-prophète qui rappelle assez bien ce que serait chez nous un pape faisant ses délices des poésies de Théophile Gautier ou d’Alfred de Musset. Mais une telle civilisation devait être éphémère. Il paraît que les ruines du vieux Bagdad sont dénuées de grandeur, que l’emplacement de tant de palais est méconnaissable. Sans suite, sans énergie, l’esprit du khalifat abbaside n’était pas ce qu’il fallait pour fonder une dynastie honnête, gardée par une armée fidèle. On n’est pas surpris de voir, dès le règne de Motaçem, les milices turques devenir indispensables à la société arabe, toujours légère, anarchique, incomplète. On sent que la pesante race tartare deviendra le lest d’un monde incapable de trouver en son sein les conditions de la stabilité, ou plutôt que cette soldatesque rude, grossière, susceptible d’être entraînée à tous les crimes, mais obéissante et disciplinée, se substituera à la race étourdie qui ne possède pas en elle-même le principe de l’autorité et du commandement.

On est surpris de voir à quel degré de libéralisme les idées en étaient venues à Bagdad, surtout sous le khalifat de Mamoun. Le khalife, tous les mardis, présidait une conférence de droit. Mamoun entretenait avec les assistants la discussion la plus belle, la plus modérée, la plus dépourvue de morgue et de pédantisme. Un jour.