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c’est qu’il y a prodigué le vinaigre et ménagé l’huile. Ce qui rend cet autre plat excellent, c’est que les épices y sont mélangées en égale proportion ; quant à celui-ci, l’auteur a fait preuve de goût en y mettant moins d’eau que de bouillon. » Et il signala ainsi le mérite de chaque plat avec des éloges qui charmaient celui qui l’avait accommodé. Puis il se mit à table avec les convives et mangea de la meilleure grâce et du meilleur appétit, en rappelant les prouesses des grands mangeurs des premiers âges de l’islam, comme Moâviah fils d’Abou-Solian, Obeïd-Allah fils de Ziad, Haddjadj fils de Youçouf, Suleïman fils d’Abd-el-Mélik, ou bien celles des plus fameux gourmands contemporains, comme Meïçarah le marchand de dattes, Dawrak le boucher, Hatem le mesureur de grains et Ishak le baigneur. Quand la table fut enlevée, le khalife lui demanda : « Père d’Abd-Allah, as-tu quelque requête à m’adresser ? — Oui, Sire », répondit le juge. « Parle, car nos convives sont impatients de se divertir. — Eh bien, prince des croyants, un membre de votre famille est disgracié de la fortune ; il se trouve dans une situation pénible ; il vit misérablement. — Qui est-ce ? » demanda Motaçem. Le kadhi nomma Suleïman, fils d’Abd-Allah Naufeli. « Estime ce qu’il lui faut. — Cinquante mille dirhems. — Je les lui donne. — J’ai une autre requête, » reprit le juge. « Quelle est-elle ? — Veuillez rendre à Ibrahim, fils de Motamer, ses biens domaniaux. — J’y consens, » répondit le prince. « Voici une troisième demande. — Accordé », répliqua Motaçem. De sorte que le kadhi ne s’éloigna que après avoir exposé treize affaires pour lesquelles il n’essuya pas un seul refus. Il se leva alors et