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homme et de ses successeurs n’eût eu pour se déployer les vastes murs des églises d’Assise ou du Campo-Santo de Pise ! Notre grande supériorité en architecture nous perdit. De tours de force en tours de force, nos maîtres maçons arrivèrent à des églises sèches, abstraites, froides, exclusivement architecturales. Le vide et la nudité de ces églises, quand elles ont échappé à l’ornementation désastreuse du xviie et du xviiie siècle, est quelque chose d’attristant. Les détails y étant secondaires, le plan seul étant la partie vivante et voulue, elles sont plus belles en dessin que dans la réalité. Une fois qu’on a épuisé le sentiment d’infinité qui résulte de l’ensemble, on sent le défaut de cette architecture égoïste et jalouse, n’ayant pour but qu’elle-même et régnant dans le désert. Je ne connais aucun grand vaisseau du moyen âge en Italie qui puisse se comparer à nos cathédrales de la même époque. Pourquoi cependant les églises toscanes et ombriennes sont-elles d’un art plus fin que Saint-Ouen, que la cathédrale de Beauvais ? Parce que l’architecte s’y est borné à son rôle, parce que chaque détail y conserve son prix. Elles sont supérieures à nos églises comme Pétrarque est supérieur aux troubadours. Elles remplissent la condition essentielle de l’art classique, un cadre fini, laissant place à toutes les délicatesses de l’exécution.

L’Italie, il est vrai, a eu deux bonnes fortunes refusées à la France, et dont il importe de tenir un grand compte : celle d’avoir conservé intactes les œuvres de ses anciens maîtres et celle d’avoir eu, grâce à Vasari, sa légende dorée de l’art. Maîtres de l’opinion aux xvie et xviie siècles, les Italiens dispensèrent trop souvent la renommée selon