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la peste, applaudissait à la seigneurie qui commandait les portes du baptistère ; en France, Hugues Aubriot, le promoteur des grands travaux de Paris, était considéré comme un oppresseur : on l’accusait d’hérésie et d’incrédulité ; il n’échappait au feu que par un hasard, et le peuple poursuivait ses partisans comme des ennemis de Dieu.

La religion de la France enfin, beaucoup plus profonde que celle de l’Italie, ne la portait pas autant vers la recherche d’une perfection classique. L’Église n’avait plus l’enthousiasme qui, pendant le xiie et le xiiie siècle, inspira tant d’œuvres originales. Elle semble obéir en général aux tendances mondaines qui entraînent le siècle loin de la mysticité pure et élevée de saint Bernard, de saint François d’Assise, de saint Bonaventure. La foi était intacte encore ; mais elle tournait à la routine, elle n’inspirait plus rien de grand. Le catholicisme français a déjà sa nuance triste et austère. Une église comme Santa-Maria-Novella, portant sur ses murs les charmantes images de la gaieté et des élégantes folies de la vie florentine, eût été un scandale à Paris. Le bon Nicolas Flamel et la grave Pernelle, son épouse, s’y fussent trouvés mal à l’aise. La France faisait sans doute autant de sacrifices que l’Italie pour ses constructions religieuses ; mais elle n’y sortait pas d’une certaine sécheresse. Ces églises de Florence, de Bologne, de Milan, tristement inachevées, respirent un sentiment de l’art plus délicat que nos cathédrales de la même époque. Une pensée plus vivante les a élevées ; ici ce sont des œuvres d’artistes, là des œuvres d’artisans : on sent que les unes sont dans la voie du progrès, et que les autres font partie d’un art condamné.