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III.

Un grand fait résume donc toute l’histoire de l’art français au xive et au xve siècle. L’art du moyen âge meurt avant d’avoir atteint la perfection ; au lieu de tourner au progrès, il tourne à la décadence. En d’autres termes, la Renaissance ne se fit pas par la France. Aux xie et xiie siècles, la France surpasse de beaucoup l’Italie dans toutes les directions de l’art. L’Italie, à cette époque, n’avait rien à comparer à nos basiliques romanes, aux peintures de Saint-Savin, aux sculptures des premiers portails gothiques. Au xiiie siècle, la France égale encore sa rivale. La France n’eut pas de Giotto, mais elle eut des architectes supérieurs à ceux de toute l’Europe. Au xive siècle, la France est définitivement surpassée. Les peintres d’Avignon, tous italiens, sont reconnus pour des maîtres qu’on ne savait pas égaler. La France ne recule pas, mais l’Italie avance à grands pas. Ce siècle n’est chez nous ni un siècle de progrès, ni un siècle de décadence : c’est un siècle stationnaire. L’art gothique hésite, s’attarde et finalement n’arrive pas à une forme acceptée de tous. Au xve siècle, l’Italie s’engage seule avec un éclat sans pareil dans cette voie glorieuse où tout le monde devait essayer de la suivre. Pourquoi ce grand événement de l’histoire de l’esprit humain ne s’est-il pas accompli par la France ? Pourquoi le pays où se produisit le grand éveil de l’art chrétien s’arrête-t-il ensuite dans une sorte de médiocrité routinière ? Pour-