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à construire un édifice couvert de cette dimension, ils ne l’auraient pas fait aussi solide que le Parthénon. » — Nous ne blâmons pas la tentative ; nous constatons seulement les conséquences inévitables qu’elle entraînait. Nulle part aussi bien qu’en architecture on ne sent les conditions limitées auxquelles sont assujetties les œuvres de l’homme, gagnant en un sens ce qu’elles perdent en un autre, condamnées à choisir entre la médiocrité sans défauts ou le sublime défectueux.

En même temps que l’architecture gothique renfermait en elle-même un principe de mort, elle eut le malheur de nuire beaucoup aux autres arts plastiques en les condamnant à un rôle subalterne. Comme la théologie tuait la science rationnelle en la réduisant au rôle de suivante, l’architecture gothique, étant tout l’art à elle seule, rendait le progrès impossible pour la peinture et la sculpture. Qu’aurait dit Phidias, s’il eût été soumis aux ordres d’architectes qui lui eussent commandé une statue destinée à être placée à deux cents pieds de haut ? Les grandes beautés savantes étant de la sorte écartées, l’artiste dut se rabattre sur des détails insignifiants et faciles, dont chacun a peu de valeur en lui-même, et qui, n’étant pas distribués avec mesure, produisent un effet de banalité. Sans partager la colère de Vasari contre ces maudites fabriques qui ont empoisonné le monde (questa maledizione di fabbriche… che hanno ammorbato il mondo), sans y voir simplement avec lui un chaos monstrueux et barbare, une folle invention des Goths, qui ne la firent réussir qu’après avoir préalablement détruit les ouvrages romains et tué tous les bons architectes, on peut trouver qu’il n’a pas tort quand il y trouve un manque général