Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/257

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gination ; on touche à l’exagération et à l’impossible : on s’obstine à taire tenir en l’air l’inconcevable chœur de Beauvais et ces édifices qui, s’ils ne nous étaient connus que par des dessins, passeraient certainement pour chimériques. Le sentiment de tous est un profond étonnement ; l’œuvre parait surhumaine, et c’est grâce à un pacte avec le diable qu’on a pu la faire passer du monde des rêves à celui de la réalité.

Le xive siècle continua toutes ces tendances en les poussant à l’extrême. L’architecture gothique du xiiie siècle était pleine de défauts ; mais chacun de ces défauts était à sa manière une source de beautés saisissantes et étranges. Il n’en sera bientôt plus ainsi. Exagérant encore la hauteur des vides, l’architecture gothique engage une sorte de défi avec la pesanteur et l’espace. Quelquefois elle gagna son pari, comme à Beauvais ; mais souvent les justes exigences de la raison dans l’art de bâtir se vengèrent d’être traitées avec si peu de souci. Les clochers s’élancent à des hauteurs démesurées ; leurs formes sveltes, leurs découpures évidées, laissent une impression douteuse entre l’imagination, qui est charmée, et le jugement, qui réprouve. L’extrême richesse des détails amène trop de formes anguleuses ou saillantes, statues surmontées de dais et de pinacles, trèfles en pignons, galeries à jour, toute une broderie de pierre, qui, comme le dit Vasari, a l’air d’être faite en carton. En général, l’unité de l’édifice est sacrifiée ; on ne veut plus de surfaces unies ; l’addition des chapelles latérales, qui dans presque toutes les cathédrales date de ce siècle, montre que l’attention donnée aux subdivisions et aux détails l’emporte sur l’effet de l’ensemble. L’aspect général tend à pyramider ; tout