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Certes, ce qui faisait défaut, ce n’était ni le mouvement ni l’esprit. L’activité qui régna parmi les architectes de cette époque est quelque chose de prodigieux. Leur genre de vie, renfermée dans une sorte de collège ou de société à part, entretenait chez eux une ardente émulation. Pour que de tels hommes se soient peu souciés de la renommée, il faut qu’ils aient trouvé dans l’intérieur de leur confrérie un mobile suffisant, qui les rendait indifférents à toute autre chose que l’estime de leurs pairs. Combien, avec eux, nous sommes loin de ces efforts impersonnels du xie et du xiie siècle, où l’individualité de l’artiste est complètement voilée ! Ici chaque artiste a un nom, chacun est jaloux de son église, chacun y inscrit son nom et s’y fait enterrer. L’album de Villard est un témoignage incomparable de la vie et de la jeunesse d’imagination qui distinguaient alors nos artistes, et il n’est pas en cela un document isolé. On possède, soit sur parchemin, soit sur pierre, beaucoup de plans du xiiie et du xive siècle. Bien qu’ils soient tous d’une géométrie élémentaire, n’employant que les arcs du cercle, ils montrent un grand travail de réflexion. Les concours enfin étaient ordinaires. La cathédrale de Strasbourg conserve dans ses archives les dessins présentés à un concours ouvert pour sa façade. Les légendes sur les rivalités des artistes rappellent celles qui eurent cours en Italie aux époques où l’attention y fut le plus éveillée sur les choses de l’art.

Cependant les défauts qui minaient ce grand système se dévoilaient avec une effrayante fatalité. L’unité des édifices devient impossible ; on n’y voit plus deux chapiteaux semblables ; les fenêtres se chargent de dessins intérieurs si légers, qu’ils semblent des fantaisies de l’ima-