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essentiels de la société du temps. L’âpreté de Philippe le Bel, la légèreté des Valois, le peu de sérieux de la noblesse, l’esprit étroit de la bourgeoisie, ne sont pas les seules raisons qui ont empêché la renaissance de se faire en France au xive siècle ; c’est l’art lui-même qui était impuissant à produire pour de longs siècles une forme définitive. L’album de Villard est encore à cet égard le document le plus instructif.


II.

Ce que cet album nous apprend en effet, ce n’est pas comment le style gothique se forma, mais bien plutôt comment il s’altéra. L’ivresse de combinaisons hardies que chaque page révèle donne de l’inquiétude. On sent que ce beau style périra par le tour de force et l’abus des plans faits sur le papier. Le feuillet 28 nous montre Villard et Pierre de Corbie créant de compagnie, et par une sorte de concours (inter se disputando), des formes nouvelles, plus remarquables par leur difficulté et leur bizarrerie que par leur beauté. L’admiration de Villard est quelquefois un peu puérile ; celle qu’il professe pour la tour de Laon, par exemple, tient à des raisons géométriques moins solides que ingénieuses ou à des accessoires de mauvais goût exagérés par son imagination. On sent que le but a été dépassé, sans qu’une complète maturité de jugement soit intervenue pour recueillir la tradition, la régler et la préserver de toute exagération.