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vées presque toutes au xive siècle. L’église de Saint-Leu d’Esserans, dont M. Vitet a, je crois, le mérite d’avoir le premier révélé la rare élégance, celle d’Agnetz, près de Clermont, la salle d’Ourscamps, la belle église cistercienne de Longpont, ou même celle de Saint-Yved de Braine, sont d’excellents modèles, aussi purs, aussi frappants d’unité que le plus beau temple grec. Les églises élevées par les croisés en Palestine brillent aussi par leur sévérité. On ne peut placer trop haut ces constructions simples et grandioses du premier style ogival. Les lignes verticales n’empêchent pas de fortes lignes horizontales de se dessiner. Les chapiteaux, tous semblables entre eux dans un même édifice et composés de feuilles élégantes, rappellent encore le galbe corinthien. Les bases sont rondes et ornées de moulures simples ; tout l’aspect de la colonne est antique et d’une juste proportion. L’ogive, dont on exagérera plus tard l’acuïté, est à peine sensible ; à Saint-Leu, l’abside paraît à distance toute romane. On ne vise qu’à des hauteurs modérées ; le bâtiment paraît assez large ; les fenêtres sont de taille moyenne, presque sans divisions intérieures. Tout l’édifice respire une droiture de jugement, un sentiment de justesse dont on ne tardera pas à se départir.

Comment, après être arrivé à une sorte de type classique, à un ordre, si l’on peut s’exprimer ainsi, où le caprice n’avait plus de place, l’art gothique manqua-t-il tout à coup à ses promesses ? Comment ne réussit-il pas à durer et ne devint-il pas l’art des temps modernes ? C’est ce qu’il faut maintenant rechercher. Les causes de ce phénomène furent de deux sortes : les unes étaient dans les principes de l’art lui-même, les autres dans les vices