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Napoléon Ier, que la grandeur des nations est le plus souvent en raison inverse du bonheur des peuples. Il arrivera peut-être ainsi que la France, qui, à la fin du dernier siècle, a proclamé l’idée de nation, aura été la première à réagir contre ce que cette idée avait d’exagéré. Cela sera dans l’ordre. Notre spirituelle vivacité, notre logique fiévreuse, nous font éprouver avant les autres les symptômes des crises qui se préparent dans le grand corps européen. Honneur dangereux !

Après tout, nous n’avons pas le droit d’être bien difficiles. Les partis réactionnaires et monarchiques ne nous ont pas traités de telle façon que nous soyons obligés de prendre le deuil avec eux. Déjà, dans les dernières années du règne de Louis-Philippe, on voyait poindre cette faiblesse générale qui a corrompu chez nous la haute culture intellectuelle. Rappelons-nous ces lugubres années de 1849, 1850, 1851, où l’esprit humain fut régenté par ses ennemis, et les dix premières années de l’Empire, où tout ce qui n’était pas médiocre ou frivole passait pour dangereux. Nous ne serons jamais les flatteurs de la démocratie ; nous avouons cependant qu’il ne lui sera pas difficile d’égaler les aristocraties de ces temps-là. Maintenant du moins, nous sommes libres, or nous ne l’avons