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gaieté[1]. Mais, en somme, elle remplit bien le premier de ses devoirs ; elle rendit son mari heureux ; celui-ci remercia les dieux de la lui avoir donnée pour épouse.

Quant aux philosophes qui survécurent à Marc-Aurèle, ils ne furent pas aussi indulgents, et, comme ils écrivirent l’histoire, Faustine arriva devant la postérité jugée par ses ennemis. Le culte que les amis de Marc-Aurèle gardèrent pour sa mémoire nuisit à sa femme. On ne lui pardonna pas d’avoir été imparfaite à côté d’une telle perfection. La haine, complètement justifiée, qu’inspirait Commode à tous les honnêtes gens rejaillit aussi sur sa mère. Comme Avidius Cassius avait été du parti opposé aux philosophes[2], on le mit dans la même cabale. Marius Maximus et Dion Cassius recueillirent cette opinion et l’imposèrent à l’avenir. Elle était juste sans doute à beaucoup d’égards. Elle venait d’un sentiment touchant de vénération pour le grand et bon empereur ; mais, comme toute opinion absolue, elle devait entraîner plus d’une exagération. Il est des natures qui, si j’ose le dire, appellent la calomnie, la créent autour d’elles, s’y livrent de gaieté de cœur. En présence de personnages historiques d’un tel caractère, le devoir de la critique est, non pas de prononcer des absolutions inconsidérées, mais de se renfermer dans ces jugements tempérés de « peut-être » où réside bien souvent la vérité.

  1. Capitolin, Ant. Phil., 19 ; Aurél. Victor, Cæs., xvi.
  2. Vulcat. Gall., Vie d’Avidius, 1, 14.