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à ses desseins, qu’elles n’eussent comme lui d’autre pensée que le bien de la république, et, parce que Pompéien était le plus honnête homme de l’empire, il s’imaginait qu’il devait plaire à Faustine et à Lucille. Il n’en fut rien ; les deux femmes se révoltèrent et abreuvèrent d’affronts le pauvre Pompéien[1]. Elles avaient tort sans doute ; mais l’empereur aussi avait tort de froisser l’instinct, un peu frivole peut-être, de personnes qui lui tenaient de si près. Belle, élégante, aristocratique et légère, Faustine fut ainsi une étrangère dans le monde de son mari. Les amis de son mari, de leur côté, durent souvent la voir avec humeur ; ils s’exagérèrent des légèretés, et, dans leur rigorisme outré, ils purent regarder comme des déportements scandaleux les manières libres d’une personne du monde[2]. Sans être pire que la plupart de ses contemporaines, Faustine dut être ainsi fort mal jugée. Il est possible qu’elle n’ait jamais dépouillé complètement ce qu’il y a quelquefois d’un peu superficiel dans les jugements de la femme ; par moments, les belles sentences de Marc-Aurèle, sa perpétuelle mélancolie, son calme, sa résignation, son aversion pour tout ce qui ressemblait à une cour[3], purent sembler bien austères à une femme jeune, capricieuse, d’un tempérament ardent et d’une merveilleuse beauté ; elle se fatigua peut-être de tant de sagesse ; elle eut le tort, en particulier, d’aimer les fêtes et les divertissements qui déplaisaient à son mari, d’y paraître seule et de s’y trop laisser aller à la

  1. Capitolin, Ant. Phil., 20.
  2. Voir, par exemple, le grief allégué contre Tertullus. Capitolin Ant. Phil., 29.
  3. Pensées, I, 17 ; X, 27.