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teur prêtât à la moindre équivoque, le rire se propageait, et une plaisanterie d’étourdis devenait une calomnie.

Les fables relatives au gladiateur, censé le père de Commode[1], s’expliquent d’elles-mêmes. Cette fois, du moins, la légende partait d’un sentiment vrai et touchant. À aucun prix, l’on ne voulut que l’exécrable Commode fut le fils du pieux et bon Marc-Aurèle. Plutôt que d’admettre qu’un tel monstre eût pour père le plus sage et le meilleur des hommes, on calomnia la mère. Pour absoudre la nature d’une si révoltante absurdité, on ne recula devant aucune invraisemblance. Quand on voyait cet insensé combattre dans le Cirque et se comporter en histrion de bas étage : « Ce n’est pas un prince, disait-on, c’est un gladiateur[2]. Quoi ! c’est là le fils de Marc-Aurèle ! » Bientôt on découvrit dans la troupe des gladiateurs quelque individu avec qui on lui trouva de la ressemblance, et l’on affirma que c’était là le vrai père de Commode. Le fait est que tous les monuments attestent la ressemblance de Commode et de son frère jumeau Annius Vérus avec Marc-Aurèle, et confirment pleinement à cet égard le témoignage de Fronton[3].

Est-ce à dire que de telles légendes aient pu se former autour d’une personne irréprochable ? Non certes. Il est évident que Faustine eut des torts. Les amis de son mari ne l’aimaient pas. La digne et grave société d’hommes vertueux que Marc-Aurèle avait formée autour de lui garda d’elle un mauvais souvenir. La cause de ce manque

  1. Capitolin, Ant. Phil., 19.
  2. Gladiatiorem esse, non principem. Ibid. Cf. Lampiide, Comm. Ant., 1, 2, 8. 12, 13, 18, 19.
  3. N. des Vergers. Essai sur Marc-Aurèle, p. 74, 75. Voir surtout le buste du Musée du Capitole.