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doit être vraie. Mais que prouve la malveillance d’un public assemblé pour écouter des impertinences et s’égayer aux dépens de la morale et de l’humanité ? Les habitués des théâtres n’aimaient pas Marc-Aurèle[1]. Il avait apporté aux combats de gladiateurs des tempéraments qui déplaisaient fort aux amateurs de ces jeux abominables ; on étendait des matelas sous les funambules ; on ne pouvait plus se battre qu’avec des armes mouchetées ; les mécontents prétendaient que c’était chez l’empereur un plan arrêté de ramener de force le peuple à la philosophie en le sevrant de ses plaisirs. Marc-Aurèle venait au théâtre le moins qu’il pouvait, et uniquement par complaisance. Il faut même dire que l’excellent homme y paraissait un peu ridicule. Il affectait, pendant le spectacle, de lire, de donner des audiences, de signer les expéditions, sans se mettre en peine des railleries qu’en faisait le peuple. Un jour, un lion qu’un esclave avait dressé à dévorer des hommes fut réclamé à grands cris par le peuple. La bête fit tant d’honneur à son maître que, de toutes parts, on demanda l’affranchissement de celui-ci. L’empereur, qui, pendant ce temps, avait détourné la tête, répondit avec humeur : « Cet homme n’a rien fait de digne de la liberté[2]. » On conçoit que la malignité du parterre prit sa revanche de cette gravité désapprobatrice. Faustine, cependant, entourée dans sa loge de la brillante société que comportaient son rang, sa naissance et sa beauté, provoquait aux méchants propos. Qu’un mot alors prononcé par l’ac-

  1. Capitolin, Ant. Phil., 4, 11, 12, 15, 23.
  2. Dion Cassius, LXXI, 29. Comp. l. 17, proœm. Digest. livre XL, tit. ix ; l. 3, Cod. Just., livre VII, tit. xi.