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sonnable : celle-ci donnant aux souverains la gloire, dont seule elle dispose ; les souverains, d’un autre côté, donnant aux grands poëtes la liberté dont ils ont besoin, comme une part de souveraineté. Aristophane se passa d’un tel patronage, j’en conviens ; sa liberté, il la recevait du peuple ; mais, on ne peut assez le répéter, Athènes fut en tout une exception. La grande littérature a besoin d’un privilège ; le droit commun ne lui suffit pas. Qui lui donnera ce privilège ? Le roi, qui prend le poëte près de lui, le couvre de son ombre, et reçoit de lui l’immortalité. Le génie est chose hors la loi. La royauté, cette autre chose hors la loi, est son alliée naturelle. »

En somme, si l’on fait abstraction des crimes qui l’amenèrent à l’empire, Auguste ne commit guère qu’une seule faute, et la suite de l’histoire a montré qu’il ne pouvait pas l’éviter. Il ne sut pas régler d’une façon durable le principe de succession ; il ne choisit pas nettement entre l’élection, l’hérédité et l’adoption. Un pouvoir aussi colossal que celui du césar romain ne pouvait être héréditaire à la façon féodale. Le principe du césarisme, c’est la cooptation et l’association à l’empire, du vivant même de l’empereur, de celui que les destins désignent, si bien qu’il y ait toujours en quelque sorte deux empereurs à la fois, l’un étant pour ainsi dire en préparation derrière l’autre. De la sorte, la mort de l’empereur est un événement peu important ; il n’y a jamais ni vide ni hésitation. Voilà ce que comprirent admirablement Nerva, Trajan, Adrien, Antonin. Auguste le comprit par moments ; puis il se laissait entraîner à l’idée de former dynastie, idée qui égara plus tard les meilleurs empereurs et n’eut jamais que de mauvais effets dans l’empire ro-