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Voilà la nuance par laquelle on peut différer de M. Beulé. Auguste arriva au pouvoir par les voies déplorables qui sont suivies dans les temps où il n’y a ni république possible ni dynastie héréditaire. Le monde, en l’acclamant, fut plus heureux que sage ; car le maître qu’il s’était donné sans bien le connaître fit un très-bon usage du pouvoir acquis d’une façon peu légale. Le crime de son avènement fut moins le sien que celui du peuple, qui dans ses embarras prend ce qu’il trouve. M. Beulé semble, depuis quelque temps, vouloir entrer dans une école qui professe une grande sévérité pour les souverains. Pour moi, je tiens le gouvernement des choses humaines pour très-difficile. J’arrive de plus en plus à penser qu’il faut être indulgent pour ceux qui ne s’en tirent pas tout à fait mal. Les souverains les plus médiocres font souvent encore mieux que les peuples n’eussent fait par eux-mêmes. On rend service à l’humanité en la tirant de son anarchie native. Voilà la raison de l’instinct qui fait qu’une grande masse d’hommes n’est tranquille que quand elle a abdiqué entre les mains d’un souverain. La conscience d’une multitude se sent trop instable et trop intermittente, si elle ne contracte une sorte d’identification avec la conscience d’une famille ou d’un individu.

M. Beulé, reconnaissant ce que les temps de César et d’Auguste avaient d’exceptionnel, veut bien pardonner à ce dernier le rôle qu’il s’attribua et qui le conduisit à la dictature. Mais il lui reproche de ne pas s’être démis de cette dictature, ou plutôt de ne pas l’avoir convertie en une présidence décennale. Il regrette, en d’autres termes, qu’Auguste n’ait pas imité Sylla, et n’ait pas remis le pouvoir aux mains du sénat. Il oublie les atroces iniquités