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met jamais que la mort travaille d’une manière désintéressée. C’est un penchant naturel à ceux qui vivent loin des cours de supposer qu’il s’y passe beaucoup de crimes ; le mystère fait tout admettre ; Marc-Aurèle lui-même a été accusé d’empoisonnement.

Peut-on dire que le philosophe, laissant de côté comme insolubles les questions sur le caractère privé des personnages historiques, et se bornant aux vues d’histoire générale, n’ait pas aussi quelques réserves à faire au sujet de la critique de M. Beulé ? Je me hâte de dire que, sur les maximes essentielles, je suis d’accord avec lui. Nous sommes de la même religion ; nous adorons au même sanctuaire, qui est le Parthénon. La supériorité de la Grèce républicaine sur tout le reste de l’humanité, et en particulier sur tout ce qu’ont fait les Latins, ce principe fondamental que la Grèce est la source de tout art, de toute science, de toute noblesse, voilà un dogme capital. Quand on est d’accord sur cela, le reste n’importe que médiocrement. Oui, l’étude de la Grèce doit être le fond de toute éducation libérale. Athènes est le seul point du monde où le parfait existe ; Athènes devrait être l’universel pèlerinage. On admire trop Rome ; on étudie trop ses monuments, tous secondaires. Le bourgeois athénien, dans sa simple aisance d’homme libre, tel que nous le voyons encore sur la frise du Parthénon, est un demi-dieu, si on le compare à la majesté empruntée d’un césar. La poésie désormais doit consister à chanter la Grèce. Rêver de la Grèce, vivre en Grèce par l’esprit est pour l’homme cultivé ce qu’est pour le chrétien vivre dans le royaume de Dieu. Une ville où les fonctionnaires les plus élevés étaient tirés au sort, où tout bourgeois