Page:Renan - Melanges Histoires et Voyages,Calmann,1878.djvu/168

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

verselle vanité : « Lorsque tu entends ces récits, dit-il, pense combien le monde est vieux, combien de destinées ont passé sur ces montagnes et ces plaines, et combien y passeront encore. »

La magie, si antipathique aux peuples monothéistes, qui y voient non sans raison une impiété, une façon de disposer de la nature sans l’aveu de Dieu, est au fond de la théologie de Firdousi, comme au fond de toute théologie indo-européenne. Lisez les tantras de l’Inde, les Tables eugubines ; ces singulières recettes pour forcer Dieu viennent toutes d’une même idée, c’est que l’homme commande à la nature et réussit, par certains procédés, à prendre le rôle que le monothéisme attribue à Dieu seul. C’est aussi la pensée de la science moderne. Seulement, les moyens qu’imaginaient ces égarés du vieux monde étaient des formules chimériques. La chimie en a trouvé et surtout en trouvera de meilleures. En tout cas, les deux antipodes du monothéisme sont bien la science et la magie, toutes deux rendant la prière inutile. Firdousi a de tout cela un sentiment vague et profond. Malgré ses protestations d’islamisme, son poëme est athée. Dieu n’y apparaît jamais comme providence ; il n’a pas de rôle dans l’action qui s’y déroule. Le surnaturel de Firdousi est celui qui résulte d’une nature vivante, dominée par la science de l’homme et par la force de sa volonté. Ses héros sont des êtres absolus, sans supérieurs dans l’univers, mais soumis au sort. Tout est gouverné par les sphères du ciel. C’est bien là une religion de poëte épique. Le monothéisme exclut l’épopée, en substituant une Providence toute-puissante à la grande bataille de la vie du monde, conçue comme une lutte