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chemin, les unes à l’état de chansons éparses, de branches non réunies, les autres à l’état d’essais individuels, non consacrés par le succès ; quelques-unes, dépassant le but, ne sont arrivées à l’état de compositions régulières que quand le temps de l’épopée sérieuse était passé et que de tels récits provoquaient le sourire (c’est le cas des cycles du moyen âge entre les mains de l’Arioste). Seule, l’épopée homérique parcourut tous les degrés qui séparent les chants décousus de l’aède du poëme accompli. Ici la Grèce garde son privilège de goût, de tact et d’harmonie instinctive. Ce que firent ses architectes, ses sculpteurs, ses historiens, ses philosophes, les derniers rédacteurs de ses poëmes épiques le firent de leur côté ; ce furent des arrangeurs comme il n’y en a eu nulle part ailleurs. Le sentiment de mesure et de proportion qui caractérise toutes les œuvres grecques anima les compilateurs de génie qui ont amené à la forme divine où nous les lisons l’Iliade et l’Odyssée.

L’Inde, la Perse, la Germanie, les peuples celtiques marchèrent dans les mêmes sentiers, mais eurent en moins le génie. Le moyen âge, en ramenant l’homme à l’état barbare et en couvrant le monde de la féodalité germanique, dont l’esprit était essentiellement épique, ramena quelques-unes des conditions de l’épopée. La principale, qui est le paganisme, manquait ; le christianisme, en obligeant le converti à maudire son passé héroïque et à tenir ses ancêtres pour des damnés, coupait la racine de la grande épopée complète. Ce qui restait possible, c’était la poésie guerrière plutôt qu’épique. Comme le sol où elle naissait était depuis longtemps chrétien, l’arrière-fond naturaliste et mythologique dispa-